par Céline Cadieu-Dumont, Directrice des Archives départementales des Vosges, novembre 2025
Dans les Vosges de la fin du XIXe siècle, Jules Méline incarne une République enracinée, pragmatique et tournée vers les réalités du monde rural. Vice-président du Conseil général de 1883 à 1893, il forme avec Jules Ferry alors président du Conseil général et Nicolas Claude, industriel textile de Saulxures-sur-Moselotte, également vice-président de 1884 à 1887, un trio républicain solide, au service d’un département fidèle à ses convictions.
Ministre de l’Agriculture dès 1883, Méline affronte une crise agricole majeure : les prix chutent, la concurrence étrangère s’intensifie. Il réagit en instaurant des droits de douane sur les céréales et le bétail importés. Ce tournant protectionniste culmine avec la loi du 11 janvier 1892, dite « tarifs Méline », qui marque durablement la politique économique française.
Mais c’est dans les Vosges que Méline déploie son action la plus concrète. Il soutient l’école pratique d’agriculture de Saulxures-sur-Moselotte, où les jeunes apprennent à fabriquer beurre et fromages, à élever le bétail et à maîtriser les techniques agricoles modernes. Il milite pour un laboratoire agricole à Remiremont, outil précieux pour les analyses de sols et d’engrais, et défend l’idée d’un enseignement accessible aux jeunes filles, conscientes de leur rôle dans la production laitière.
Son engagement va au-delà de l’agriculture : il poursuit son implication dans les sujets d’instruction et soutient la création d’une université régionale à Nancy ou le déploiement des conférences populaires (auquel il refuse cependant une subvention pour des questions d’équilibre budgétaire du Département) ; il défend l’installation de fermes-refuges pour lutter contre la mendicité et renforcer le développement économique puisque cela « permettrait aux assistés de fournir la somme de travail utile dont ils sont encore capables et pourrait devenir une sorte de bureau de placement où on serait sûr de trouver des ouvriers à un moment donné ». Il croit en une République sociale, instruite et solidaire. Son style ? Un pragmatisme tranquille, une modération assumée, une volonté de concilier progrès et tradition.
Élu vice-président du Conseil général à plusieurs reprises, Méline bénéficie d’une confiance constante. Jules Ferry, dans ses discours, salue la fidélité républicaine des Vosgiens et la stabilité de leur vote. Méline incarne cette constance, loin des agitations parisiennes.
Dans un contexte national troublé – montée des conservateurs, poussée radicale, affaire du Tonkin – Méline reste fidèle à une République tempérée, ouverte aux conservateurs sincères mais ferme face aux utopies monarchiques ou révolutionnaires. Il défend le « retour à la terre », une vision conservatrice valorisant l’agriculture face à la surproduction industrielle.
En 1893, Jules Ferry résume l’esprit de l’époque : « La République n’est pas un dogme, elle est ouverte à tous les hommes de bonne foi. » Méline, homme de foi républicaine et de terre vosgienne, en est l’un des plus éloquents témoins.


