12juin

Fight Club 2 : un très beau millésime

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Suite du film « Fight Club » avec Brad Pitt et Edward Norton - sorti en 1999 -, lui-même adaptation du livre éponyme de Chuck Palahniuk - paru en 1996 -, Fight Club 2 reprend l’histoire là où elle s’était arrêtée. Pour mémoire, Fight Club narrait les pérégrinations d’un héros anonyme au profil houellebecquien qui voyait sa morne vie imploser et exploser à la suite de sa rencontre avec un proto-punk au charisme exceptionnel, figure mansonienne en diable et dénué de toute limite nommé Tyler Durden.

De leur association va naître le Fight Club, club privé où les membres se mettent de joyeuses raclées pour se sentir vivants. Mais là n’est que la face émergée de l’iceberg, la véritable ambition de Tyler Durden étant de mettre à bas la société moderne dont la médiocrité le révulse ; le Fight Club n’est ainsi qu’une couverture pour un projet profondément révolutionnaire, dont les membres, conditionnés à l’extrême, sont appelés à en devenir le bras armé. Lorsque le narrateur le découvre, il veut s’affranchir de sa dépendance à Tyler et révèle ce faisant la véritable nature du monstre : Tyler n’existe pas et n’est qu’une création de son esprit, la manifestation de son trouble dissociatif de l’identité.

Le roman comme le film, s’ils font à leur terme disparaître l’entité Durden, laissent entendre que ce double maléfique pourrait néanmoins revenir... Fight Club 2 débute ainsi 10 ans après, l’anonyme narrateur se fait maintenant appeler Sébastian, se gave de médicaments pour soigner sa schizophrénie -  et accessoirement continuer à museler Tyler - et mène une vie toujours aussi désespérante. Désormais marié avec Marla Singer – déjà présente dans le roman et le film –, ils ont eu un enfant prénommé Junior. Déprimée par le tournant qu’a pris leur vie, Marla a recommencé à fréquenter les groupes de paroles et d’entraides psychologiques, où selon les sujets et intervenants - échanges sur l’alcool les drogues, les maladies…-, elle se présente comme alcoolique, droguée…allant même jusqu’à rejoindre un groupe de malades souffrant de progéria - soit des enfants atteints d’une maladie génétique rare qui provoque un vieillissement accéléré -.

Toujours dans le but de tromper la léthargie dans laquelle est plongé son foyer et afin d’égayer un peu leur vie, Marla décide de trafiquer les médicaments de Sébastian afin que l’effroyable double puisse faire quelques apparitions. Le résultat ne se fait pas attendre : pertes de mémoire et de temporalité pour Sébastian et surtout retour testostéroné du toujours aussi maniaque Tyler Durden. Il a naturellement un nouveau projet dans sa besace : rien moins que la destruction du monde pour le guérir de tous ses maux à travers le mystérieux Projet Mayhem, avec en guest star Junior, fraîchement enlevé à ses parents, dans le rôle d’agent de l’Apocalypse. Pour mener ce grand œuvre, Durden va réactiver les Fight Clubs - qui sans leur gourou ne faisaient plus que vivoter - et s’appuyer sur ses cohortes de zélotes radicalisés qui n’attendaient que son retour. Accessoirement, il va évidemment pourrir la vie de Sébastian à travers ses actions toujours aussi sauvages et punks, mais surtout avec certaines révélations qui changeront à jamais leur histoire commune. Combats sauvages ! Révélations en cascade ! Monstre transgenre mort-vivant ! Enfants guerriers atteints de Progéria ! Eclatement et re/dé/composition de la cellule familiale ! Apparition de l’auteur en quête d’inspiration ! Une chose néanmoins demeure immuable : « la première règle du Fight Club est qu’il est interdit de parler du Fight Club »…

Plus de 20 ans après la parution du roman original et presque autant d’années après la sortie du sulfureux film devenu culte, il est enfin répondu aux attentes des lecteurs, cinéphiles et fans de tout poil quant au destin de Tyler Durden et au devenir de son monstre de Frankenstein, le Fight Club. Le format choisi - soit le comics -, pop et permettant toutes les fantaisies, est parfaitement raccord avec un récit profondément dingue et moderne, protéiforme et cross-média (roman, puis cinéma puis comics) qui aura su marquer son temps. Suite réelle et légitime, Fight Club 2 reprend les personnages, les codes - groupes d’entraide entre autres - et les bases narratives déjà posés, pousse tous les curseurs à fond et entreprend une réinterprétation graphique soignée et respectueuse du/des matériau(x) d’origine sur un récit savamment orchestré, totalement délirant et dans la droite ligne de ses aînés.

On peut ainsi croiser dans le comics Chuck Palahniuk (l’auteur) en plein processus de création ; une affiche pour le film « Fight Club » avec les noms de Pitt et Norton…Dans sa forme comme dans son fond, le récit paraît ainsi et répondre à la schizophrénie galopante de Sébastian, et exploser sous la folie furieuse et grandiloquente de Tyler. Les thèmes abordés dans l’œuvre originale, toujours aussi d’actualité, resurgissent tout en étant accommodés à une sauce différente - autres temps, autres mœurs - : l’absence de sens de la vie moderne ; l’incessante pulsion, jamais suivie d’ailleurs, d’agir sur son environnement pour le rendre conforme à sa perception ; la schizophrénie de chacun qui vient à s’accentuer avec la modernité - réseaux sociaux, image de soi…- ; la perte d’individualité et de force vitale liées à l’absence d’accomplissement ; le recours à la médication pour affronter un quotidien bien terne ; l’asservissement de l’individu aux biens matériels, aux discours dominants, aux modèles donnés et aux médias.

La mise en scène graphique n’hésite pas, à l’image du récit, à se faire multiple, à procéder à des expérimentations visuelles et à rechercher une cohérence dans ce chaos global. Fight Club 2 est ainsi une vraie et franche réussite au niveau de l’écriture, reprenant les thématiques d’origines pour amener à de nouvelles réflexions ; le concept d’en faire un comics paraît parfaitement pertinent, la narration graphique permettant d’apporter un second degré de lecture via des associations d’idées imagées qui viennent s’ajouter, de manière très fluide, au texte mélangeant habilement réalité et fiction. Un très beau millésime que ce Fight Club 2.

Fight Club 2 est issu, comme son grand frère au destin d’exception, de l’imagination débridée du journaliste et romancier Chuck Palahniuk. Adepte du « Dangerous Writing » - école littéraire particulière qui prône le style minimaliste et le mépris de l’emphase -, son 1er roman « Monstres Invisibles » est jugé impubliable car trop trash et au style trop particulier ; en réponse, il choisit d’aller plus loin encore avec « Fight Club », écrit en 3 mois, véritable roman-défouloir. Le succès est cette fois au rendez-vous, aussi bien chez les éditeurs que chez les critiques mais pas encore au niveau du public ; la sortie du film en 1999 va changer totalement cette perception et Palahniuk va devenir un auteur à suivre. Ses multiples – et très réussis – romans (Peste, Survivant, Berceuse…la plupart parus en France, en version poche, chez Folio SF ou policier) demeurent fidèles à son style minimaliste, à ses idées iconoclastes et à ses concepts anti-conformistes faisant la part belle à la violence, qu’elle soit sociétale, intériorisée ou brutale. La partie graphique n’est pas en reste avec la très belle partition délivrée par Cameron Stewart. Auteur de comics depuis le début des années 2000, il a travaillé pour les plus grands éditeurs que ce soit Marvel, DC ou Dark Horse. Collaborateur de longue date de Grant Morrison – sur Batman, Seven Soldiers entre autres-, scénariste célèbre pour ses œuvres parfois hermétiques, il a créé avec lui le comics « Seaguy ». Stewart a reçu le Eisner Award de la meilleure bande dessinée en ligne en 2010. Son trait simple mais percutant fait des merveilles tant dans le design général de Fight Club 2, l’émotion des personnages ou le côté méta-textuel de l’insertion d’objets sur les planches – idées très intéressantes au niveau de la narration visuelle -.

Pour qui : toutes celles et tous ceux qui recherchent un récit intelligent, profondément punk et sortant des sentiers battus ; ceux qui veulent connaître la suite de Fight Club et surtout les nouvelles lubies de Tyler Durden ; ceux qui apprécient la remise en cause de la société et les récits métatextuels ; ceux pour qui le tiède n’est jamais une option et apprécient l’humour barré / lecteur averti - dès 16 ans -

Le + : Contempteur du dérisoire d’une société en perte de sens mais aimant à en utiliser les armes - voire à les dévoyer -, Palahniuk s’est très vite essayé au cross-média : en plus de l’adaptation d’un certain nombre de ses livres au cinéma - Fight Club mais aussi Choke…-, il a une boutique de produits dérivés / merchandising sur le web, reprenant le visuel de ses romans et a lancé une série de livres de coloriage chez l’éditeur Dark Horse.

Fight Club 2 - broché - 10€ - 272 pages - édition Folio -

A noter : Fight Club le film est disponible sur nombre de plateformes numériques 

Fight Club le livre est disponible en poche chez Folio S.F. (304 pages – 9,10 Euros)

 

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